Spirit sculptures : détournement et recouvrement des sens
Esprit frappeur, Poltergeist et fantômes participent à un ensemble de croyances et de phénomènes répandus, à la fois histoires de revenants et ‘‘patrimoine’’ d’un imaginaire. Point d’épouvante ni de paranormal, les œuvres de Thomas Tronel-Gauthier interrogent un ‘‘fantastique’’ de notre quotidien au travers des notions de contrôle et d’aléatoire, de contingence et de métamorphose.
Chacune de ces sculptures convoquent nos sens dans leurs rapports à la matière et à l’imaginaire. ‘‘Dédomestiquer’’, néologisme de Thomas Tronel-Gauthier, définit ce passage ambivalent entre l’état naturel des choses et leur état domestique, afin de tendre vers, ce qu’il nomme, un artifice naturalisé: la salle de bain emplie de sable, les portes vitrées
gélatineuses aux craquelures sonores, le lustre musical diffusant une reprise jouée à la harpe de Cambodia, tube générationnel de Kim Wilde.
Elles invoquent toujours les phénomènes naturels et non surnaturels qu’ils s’agissent de l’apparat culinaire ou de l’eau et de ses attributs utilisés comme médium de sculpture. Facétieux et métaphorique, Le dernier terrain vague est un ensemble de moulages du mouvement des marées laissant son empreinte sur le sable de la Mer du Nord. Déplacement géographique et géologique, cette mer ‘‘hors d’elle-même’’ se révèle comme une montée des eaux pétrifiées, une désertification poétisée de la maison abandonnée.
Utopies sculpturales, au sein desquelles, les éléments naturels façonnent une vision
fantasmagorique de l’espace environnant. Les portes vitrées, recouvertes de gélatine comestible, fragile et temporaire, sont, d’une part, une lointaine référence aux contes des frères Grimm, Hansel et Gretel, où la nourriture est un élément central et met en relation l’enfance avec le foyer et, d’autre part, l’utilisation de la gélatine évoque la gastronomie
moléculaire qui explore les mécanismes des phénomènes survenant lors des transformations culinaires. Entre raffinement et décrépitude, entre expérimentation et ornementation, ces ‘‘vitraux alimentaires’’ déforment notre perception en plusieurs points. Au-delà d’une oblitération de la vue, une odeur organique et des crépitements stridents émanent de la solidification de la gélatine. Perturbation et détournement de l’espace, le lustre musical oscille, également, entre étrangeté et placidité. L’éclat ostentatoire du lustre se confond au son enregistré et cristallin de la harpe, atmosphère empreinte de la nostalgie d’un passé perdu et errant. Faites de turbulences sensorielles, ces œuvres sont une infiltration poétique et amusée dans les données intrinsèques et les potentialités du matériau pour un nouveau parti pris des choses*.
Marianne Derrien
Publié en octobre 2010 dans la catalogue de l’exposition RELATIVES
*. Titre de l’ouvrage de Francis Ponge, Le parti pris des choses, Paris, Gallimard, 1997 (1ère édition, 1942)
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