Thomas Tronel-Gauthier convoque, par le biais d'une pratique artistique très maîtrisée, toute en finesse, le rapport, fondamental quoi qu'enfoui la plupart du temps tout au fond de notre mémoire collective, que nous entretenons  avec le monde physique qui nous abrite. Formé aux disciplines plastiques comme aux arts and crafts, il captureavec une expertise d'entomologiste la temporalité des multiples et infimes incidences des phénomènes naturels qui nous entourent pour en fixer les métamorphoses éphémères sous des formes et des matières aussi diverses que plastiquement accomplies : sculptures, gravures, peintures, films. Pour ces prélèvements  de l'instantané, Thomas Tronel-Gauthier pratique des moulages « sur le tas » dont les empreintes vont lui permettre ensuite de les revoir, ou peut-être, plus précisément, de les voir, les découvrir à loisir, et non plus dans l'infinitésimal moment de leur existence, pour les sélectionner et en enfin, les « traiter » dans le cadre de son intention artistique.
C'est en artiste effectivement, artiste à la procédure attentive du savant à l'affût, alliée à une conscience aiguisée de la présentation esthétique, affective et arbitraire donc, qu'il compte les  rendre perceptibles et qu'il va réinterpréter par une procédure avertie des lois régissant la réactivité des matériaux aux diverse procédures d'intervention, la dynamique naturelle, la morphogénèse, qui les meut. Une dynamique invariable dans sa nature mais variable à l'infini dans ses infimes effets.
Il ne s'agit pas de rendre visible les lois immuables de la nature comme le ferait le scientifique mais bien d'amener le regardeur à découvrir à  partir d'une proposition artistique, le lien polyvalent qui la lit à elle : une appréciation subjective, personnelle,  de l'œuvre au premier chef puis une curiosité progressive éveillée quant à son origine et à ce qu'elle remonte  de souvenirs anhistoriques et de questions sur la nature des choses du monde. Ainsi, les éléments naturels, la pierre, le sable, l'eau, le végétal, sont-ils alliés à des matériaux composites, transformés par des manipulations  techniques contemporaines. L'artiste parvient ainsi à évoquer les cultures enfouies aussi bien que les questions sociétales et politiques d'environnement ou de subordination par une re-visitation de la transformation des objets mise en parallèle avec celle irréfragable  de la nature. Une prouesse réalisée sans dogmatisme aucun, avec le seul impact de la présence de l'oeuvre. La démarche est à la fois philosophique, politique et esthétique : amener le regardeur à intégrer ce qu'il voit sans se laisser dépasser par ce qui lui est montré. Tel pourrait être un motto de la démarche à la fois séduisante et complexe de Tronel-Gauthier.
L'artiste a déjà trouvé dans des contrées lointaines, à nourrir et enrichir profondément sa pratique singulière. Un long séjour à New York – de son histoire nourrie par excellence des transformations multiples de l'homme et de son lieu - devrait l'aider à pousser plus avant sa subtile et déjà riche réflexion plastique sur notre être au monde.

Ann Hindry

 

Texte écrit à l'occasion du parainage d'Ann Hindry pour le Salomon Residency Award 2016 dont l'artiste fut ensuite lauréat.