Voyager immobile

Les creux de la vague
Moins « burineur » que paléontologue, Thomas Tronel-Gauthier sculpte tout en douceur. Les formes qui peuplent l'univers de cet ancien diplômé des Arts décoratifs de Strasbourg sont des fragments de surfaces confondants, obtenus par empreinte, pression, ou moulage. Confondants parce qu'ils tendent à brouiller la frontière entre naturel et artificiel. Avec sa série de peintures, Thomas Tronel-Gauthier se fait artiste démiurge en créant ses propres végétaux, dont les nuances nervurées apparaissent par pression sur une dose de peinture déposée sur une toile de lin, technique dont il a seul le secret. Mu par un intérêt pour la morphogenèse (du grec morphê, forme, et genesis, naissance), l'artiste fixe des états instables, des instants où le paysage se fait sculpture éphémère, comme ses empreintes de mer (série The Last Piece of Wasteland), moulage en résine d'une portion sableuse que les vagues ont naturellement sculptée après qu'elles se sont retirées ; ou cette terre agricole amplement foulée, dont les moindres aspérités imprimées dans le plâtre engendrent un bout de paysage saillant et fragile (série Corail de terre). Et si l'on y regarde bien, les matières sont bavardes, renfermant quelques indices sur l'origine géographique de ces petits bouts de paysages (grains de sable, coquillages, feuilles séchées).
Chez Thomas Tronel-Gauthier, le geste artistique repose sur un travail de taille — redessiner les bords pour faire basculer les surfaces en volumes — et le choix des couleurs. Car le corpus d'oeuvres brille également par ses teintes et jeux chromatiques tout en contrastes et nuances : les végétaux picturaux affichent des couleurs denses — noir, outre-mer ou vert de chrome —, les sables sont anthracites, l'île minuscule ocre rouge (L'île engloutie), et les roches volcaniques s'évanouissent vers le blanc (Le Commencement).

Fragments de lointain
OEuvre du contraste donc mais aussi des contraires. Les sculptures de Thomas Tronel-Gauthier jouent des pleins et des vides, des rapports positif/négatif relatifs au moulage ou à l'empreinte, mais aussi de l'écart entre l'objet et le référent. Car, même s'il y a résonance avec la forme ou le contexte auxquels les oeuvres se réfèrent, il n'y a pas mimesis totale. Le jeu consiste, par les cartels et les choix plastiques, à proposer et convoquer un véritable ailleurs, spatial et temporel. Le marbre blanc se fait fossile d'une préhistoire toute proustienne (Sans Titre (made in Italy)). Le plâtre prend les atours d'un récif corallien. Une petite malle se transforme en trésor insulaire miniature. Les vestiges d'une terre volcanique s'éparpillent ça et là. Et non sans rappeler le travail de Didier Marcel avec ses moulages monumentaux de champs labourés que l'on regarde comme des paysages, Thomas Tronel-Gauthier opère le même glissement de l'horizontal au vertical, du plan au tableau, et ce qui se trouvait sous nos pieds s'élève devant nos yeux. On le sait désormais : renverser l'horizon, c'est le parfait moyen de voyager immobile.


Alexandrine Dhainaut

 

Texte écrit à l'occasion de la publication du catalogue de l'exposition "Le temps d'un sillage" - Prix de Sculpture 2016 de la Fondation de L'Olivier en partenariat avec la Fondation Bullukian