Habile à inventer d’étonnants jeux de matière, Thomas Tronel-Gauthier ne se lasse pas d’expérimenter le travail des éléments, dontnaissent des objets à la poésie fragile. Le marbre, le savon, la nourriture, le son… Il explore le potentiel de tous les matériaux. Mais c’est l’eau, ses flux et ses créatures, qui se trouve avant toute autre chose au coeur de son travail. « L’eau est partout, mais jamais dans sa forme évidente », analyse-t-il. C’est ainsi que l’artiste, formé aux Arts décoratifs de Strasbourg, réalise un récif d’éponge en porcelaine, rendu possible par un procédé sophistiqué de fossilisation qui brûle la matière première pour n’en laisser que le squelette. Végétale ou synthétique, les bizarres animaux deviennent blanches statues, figés à jamais. Il crée aussi une Alguorescence, algue squelettique surgissant du mur par la magie de l’extrusion de polystyrène. Travail enfin avec des coquillages, ou des poissons qu’il sculpte dans le sel de Guérande : suspendus au-dessus d’une fontaine, les animaux se désagrègent peu à peu, jusqu’à ne laisser que leur souvenir. Il prolonge cette réflexion sur l’évanescence à travers une oeuvre qui tente de donner forme au son de caisses creuses, dont naissent des fils de cristal qui peuvent être joués à l’archet, ou à la main. Plus tard, il compose avec l’illusion en créant des os à moelle blanchis par bouillonnement, qu’il remplit d’une gélatine de bonbon, ou en sculptant dans le verre une louche, à la fois liquide et solide, qui tient en l’air comme par miracle… « Je me questionne beaucoup sur le sens que peut apporter la matière à la forme, sur leur contre-sens possibles, mais aussi sur les transformations de perception : comment l’odorat, par exemple, peut renverser la vision ». Pleines de paradoxes, certaines de ses oeuvres oscillent entre éphémère et pérennité : ainsi de cette forme de cristal coulée sur un pudding, qui en garde la forme quand l’objet originel aura disparu. Ou de cette baignoire en savon, condamnée à sa propre perte. Plus récemment, il s’est lancé dans une recherche sur la peinture dans ce qu’elle a de plus minimal. Peignant de blanc des feuilles type carte postale, il les appose quelques instants au mur afin de donner naissance à des fractales, filigranes de dessin qui évoquent le fantôme d’un paysage de montagnes chinoises. C’est ce dispositif qu’il explore aujourd’hui, à plus grande échelle, celle du mur tout entier. « J’aime cette forme entre contrôle et aléatoire », explique-t-il. « Je voudrais qu’elle crée comme une zone de low velocity, quelque chose de géologique quiralentisse la déambulation ».

Emmanuelle Lequeux, (Mai 2010, à l'occasion du 55e salon de Montrouge)