Une mer de montagnes sur les ruines d'un  volcan, la nouvelle exposition personnelle de  Thomas Tronel-Gauthier, se déploie sur deux lieux de la ville d'Aurillac : le  Museum des volcans et le Musée d'art et d'archéologie. Le premier dévoile les  résultats des recherches conduites par l'artiste lors de sa résidence, tandis  que le second met ces dernières en  perspective et en dialogue avec quinze années de création. De l'un à l'autre,  et à travers une variété de médiums, allant de la sculpture au dessin en  passant par la peinture ou la photographie, nous sommes convié.es à scruter le  monde par le biais d'empreintes qui, extraites du contexte scientifique pour  plonger dans le registre des arts visuels, deviennent autant d'artefacts  propices à la réflexion et à  l'éveil de l'imaginaire. Les œuvres présentées s'offrent autant comme des traces des gestes opérés par le plasticien que tels des indices du  passage des vivants sur la planète que nous  habitons, façonnons et remodelons sans cesse. 
                    Pensée comme un seul et même ensemble réparti sur  deux sites, l'exposition fait se côtoyer nouvelles productions et œuvres plus anciennes. Elle  dévoile la cohérence du langage de l'artiste, tout en montrant sa capacité à répondre et à s'adapter à des  contextes spécifiques d'intervention. Marquant une nouvelle étape de création,  les réalisations effectuées lors de sa résidence surgissent également en  continuité de ses recherches préalables. Le  Muséum accueille des productions en majorité inédites, fruits de deux mois  d'investigations, de réflexions et d'expérimentations réalisées principalement  à partir des collections paléobotanique et paléontologique de l'établissement scientifique. Par  de nombreux dialogues engagés avec les équipes des musées de la ville ou avec  des habitant•es, Thomas Tronel-Gauthier s'est imprégné des lieux et de  l'histoire des objets conservés, comme de celle des personnes qui les ont  rassemblés ou étudiés à l'image de Jean-Baptiste Rames (1832-1894). Il s'agissait  pour lui d'appréhender par ces fragments la mémoire du territoire local tout en  les reliant à des enjeux d'actualité. En complément de l'analyse de ces fonds  patrimoniaux, le plasticien a  arpenté les paysages du Cantal, entre monts et vallées, afin de mieux saisir  l'aspect pittoresque de ce qui se présente aujourd'hui comme les vestiges  érodés du plus grand volcan éteint d'Europe. Les salles du musée d'art  proposent, elles, un regard rétrospectif révélant une démarche qui n'a de cesse  d'interroger la nature et les mutations permanentes engendrées par les flux qui  l'animent, ou subies par les effets de l'activité humaine.  
                    Investissant  les sillons foulés par les marées, parcourant les failles qui craquellent l'asphalte ou la terre, caressant les reliefs striés des écorces ou cannelés  des coquillages et de leurs fossiles, chaque œuvre conserve les marques du  temps et de ses tremblements. Elles rappellent les forces primordiales qui  irriguent la planète avec son lot d'apparitions rhizomatiques, mais aussi de  crises et de disparitions cycliques. Si l'humain n'est pas, ici, au centre de  la réflexion, il s'agit néanmoins d'envisager sa place au sein de  l'environnement et ses relations intrinsèques avec les minéraux, végétaux et animaux aux côtés desquels il cohabite sur Terre. La technique du  moulage, largement utilisée par l'artiste, et de multiples façons d'ailleurs,  apparaît alors comme un moyen d'être au contact du monde et de témoigner de ses  vibrations.  
                    Une  carte postale anonyme datée de 1952, agrandie et redessinée à la mine graphite,  ouvre le parcours, mettant en  scène un flâneur de dos face aux reliefs vertigineux des montagnes qu'il  domine, non sans faire penser au Voyageur  contemplant une mer de nuages peint par Caspar  David Friedrich. Il invite à une traversée de ce territoire par le biais de  fragments singulièrement transfigurés. On avance alors sur une ligne où les  temporalités s'entremêlent, et où le réel tend à basculer vers la fiction,  voire inversement. Usant de multiples techniques, Thomas Tronel-Gauthier a  prélevé des empreintes de roches volcaniques, de cartes topographiques en  relief, de fleurs endémiques de la région, ou encore de sigillaires, ces plantes qui poussaient entre le Permien et le Carbonifère  aujourd'hui devenues d'étranges fossiles dont la surface rappelle des tablettes cunéiformes. Les  objets indiciels récupérés sont ensuite retravaillés, devenant même parfois à leur tour des moules, avant d'être  agencés avec précision dans l'espace, renvoyant dans certains cas aux méthodologies scientifiques  d'indexation. D'une tombée en dégradé de  gris de répliques de pierres de lave aux parcelles topographiques en bas-relief  qui constellent les murs, en passant par un globe pétrifié par l'écoulement  lent d'une eau chargée de calcite à sa surface au cours d'une année, ou par des  pages encrées dont les contours indéfinis marquent les différentes étapes de  leur séchage, nous sommes invité•es à appréhender des moments de cristallisation dans la course du temps.  
                    Les  formes élaborées par l'artiste ne sont néanmoins pas des points d'arrêt. Leur  équilibre, souvent fragile, affirme que tout peut encore advenir. Les coffres,  par exemple, convient symboliquement au voyage tout en se référant à des  caisses de transport et de conservation. Les modules de Sigillaria Vertebrae, empilés avec  légèreté,évoquent  quant à eux la possibilité d'une arborescence infinie. Cette dernière apparaît aussi métaphorique à travers les  dialogues favorisés par l'artiste entre ses œuvres et les fonds du Muséum.  Ainsi, des fossiles issus des collections émaillent le parcours et instaurent  un trouble entre l'artificiel et le réel, entre l'œuvre du plasticien et celle  de la nature. Cette ambiguïté est propice à l'émergence d'une réflexion sur  notre manière d'être et de voir le monde. Il s'agit par là de  « réapprendre à voir » afin de « renouer avec  l'émerveillement des grandes découvertes, car ce monde sans cesse terraformé  par les vivants demeure largement  méconnu. C'est un monde d'êtres stupéfiants, d'assemblages surprenants,  d'alliances nouvelles  » tel que l'exprime l'autrice Frédérique Aït Touati. Les  constellations presque futuristes des photographies de la série Les mégalithes  de l'inframince nous rappellent d'ailleurs qu'un  caillou a priori banal  peut en fait contenir  l'extraordinaire. Chaque œuvre de l'exposition agrège ainsi des temporalités et  des mémoires feuilletées, que  Thomas Tronel-Gauthier nous invite à fouiller par le regard comme par  l'imaginaire.  
          
Thomas Fort
  
      Frederique Aït-Touati, « Paysages  terrestres / expériences d'habiter », in Le vent se lève [cat.],  Vitry-sur-Seine, Mac Val, 2020, p.203-204. 
   
  
      
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